L'éducation et l'informatique

Posted on June 16, 2014

Préambule

L’air du temps est chargé d’idées fantasmées sur le numérique, son rôle et son importance dans la vie quotidienne. Ces fantasmes ont renforcé l’idée qu’un apprentissage du numérique, de l’informatique ou du code devait être centrale pour aider les futures générations à appréhender le monde. S’il est évident que l’informatique a une place grandissante dans les usages quotidiens, il ne faut pas surestimer son rôle et surtout la place qu’elle doit avoir dans l’éducation.

Il y a quelques jours, j’apprenais que des députés avaient rédigé une proposition de loi visant à rendre obligatoire l’enseignement du codage à l’école. L’intitulé m’avait interpellé et j’en avais fait une relecture détaillée sur twitter. Il s’agit d’une critique plutôt destructive car le texte est terriblement mauvais.

Cette relecture m’a laissé un goût d’inachevé. S’il est facile de s’accorder sur ce qu’il ne faut pas faire, il est bien plus intéressant de donner des éléments sur ce que pourrait être un enseignement de l’informatique. Dans cette optique, cet article est je l’espère le premier d’une série sur l’apprentissage de l’informatique, tentant d’expliquer ce qui fait le coeur d’un apprentissage dans ce domaine.

Pour bien commencer, si vous comprenez l’anglais, il peut être utile d’écouter cette vidéo de Simon Peyton Jones. Elle pose une distinction importante, celle entre l’utilisation des technologies numériques, peu utile à long terme, et la compréhension de l’informatique, qui peut être un vrai savoir de base. Le soucis est qu’il est facile de mal comprendre ce message et de lui substituer celui d’une opposition consommateur ou acteur de l’informatique. Il s’agit plutôt de dire que comme beaucoup d’autre sciences, les fondements de l’informatique peuvent être enseignés et aider à la compréhension. Cela n’est pas une incitation à développer, comme le français n’est pas une incitation à devenir écrivain.

Quel enseignement ?

Les outils matériels

La familiarisation avec du matériel informatique, quel qu’il soit (ordinateur, tablette) est un premier pas qui n’est pas inutile pour certains élèves. Donc pour commencer, oui, il est utile qu’ils aient une idée de l’interaction qu’on peut avoir avec un ordinateur. Il s’agit là du même apprentissage que l’on a avec tout nouvel outil. Ce n’est pas autre chose qu’apprendre à se servir d’une règle graduée, en un peu plus complexe. Il est important de ne pas le sacraliser. Cette sacralisation est d’ailleurs la source de nombreuses stupidités énoncées sur l’enseignement de l’informatique par nos politiciens. Il n’y a ici aucune révolution, juste la simple adaptation des outils proposés aux élèves au monde “moderne”.

L’usage

Comprendre en quoi l’ordinateur peut être utile dans la vie quotidienne est également important. Là aussi, il n’y a rien d’extraordinaire. Utiliser l’ordinateur pour se documenter, comme on le faisait avec des dictionnaires ou des encyclopédies avant. L’utiliser comme support pour soutenir les autres matières (publication sur internet, mise en page, vérification de calculs, etc.). Il n’y a là rien, absolument rien qui change les priorités de l’école. Il peut effectivement important de tenter d’imposer l’utilisation de l’outil mais cela ne change rien à ce qu’on espère des compétences des élèves. Encore une fois, l’ordinateur doit être vu comme un outil. Je sais que cette vue utilitariste de l’informatique gêne parfois. C’est pourtant la plus répandue dans les usages quotidiens.

La compréhension technologique (matérielle et logicielle)

L’école a depuis longtemps, l’objectif d’aider les enfants à apréhender le monde. Cet objectif peut inclure sans aucun problème la compréhension générale du monde numérique (ordinateur, logiciel et réseau notamment). Cela est indispensable pour voir l’informatique comme une création humaine dirigée par l’homme, et non comme un objet ésothérique qui répond à sa seule volonté. Avec cette compréhension, on placerait les élèves au dessus de la majorité des journalistes technologiques, ce qui serait déjà une réussite. Là aussi, il s’agit d’un ajustement mineur : faire de la place dans les apprentissages technologiques des élèves pour les technologies du numérique.

Rien d’autre ?

Non. Tout est déjà là. Le codage, tellement sacralisé, ne doit pas être un fondement central de l’éducation. Une simple initiation, pour comprendre comment on “donne des ordres” à un ordinateur peut suffire. Il s’agit dès lors d’un simple atelier, ou projet scolaire, comme il y en a déjà.

L’idée de considérer le code (concept ridicule) au même niveau que le français ou les mathématiques est une absurdité sans nom. Ne pas savoir lire ou faire des calculs simples est un réel handicap. Ne pas savoir programmer est embêtant en de très rares occasions.

L’informatique est une science à la croisée des chemins de plein d’autres. Ses premiers parents sont philosophes et logiciens (oui, c’est parfois les mêmes). Elle nécessite des capacités de raisonnement, d’abstraction, de conceptualisation, d’analyse. L’apprentissage de ses fondements pourrait être utile et aider certains à raisonner, elle pourrait en perdre d’autres. Systématiser son apprentissage est à mon avis à double tranchant. Dans un système centralisé comme celui de l’école française, c’est un risque énorme.

Je crois en un apprentissage théorique de l’informatique, en son utilité pour certains. Et hors université, cet apprentissage est à construire. Il mérite mieux que des idées lancées à l’emporte pièce.